Témoignage d'une maman

Le témoignage de Sophie, 27 ans, végétarienne quasi végétalienne, maman d’un bébé de 6 mois dont le papa est végétarien.

La discrimination est difficile à cerner parce que quotidienne et parfois invisible. Cela commence par la cantine où, étant enseignante, on devrait pouvoir manger. Ca commence par le personnel de service qui répète bien fort, chaque jour, sur un ton moralisateur « vraiment, pas de viande ? ». Pour un peu, on nous forcerait presque… Evidemment, pas le droit de prendre un fruit à la place du yaourt. On se retrouve donc avec des légumes, du pain et un fruit, les jours (et c’est souvent !) où il n’y a pas de féculents. Comment tenir tout l’après-midi avec ça ? On est donc obligée, si on veut éviter de tomber en hypoglycémie au bout de 2 heures, soit de manger seule en salle des profs, soit d’amener son Tupperware à la cantine sous le regard moqueur des élèves et des collègues, voire du proviseur… On préfère bien évidemment se taire.

Je vais maintenant raconter ma grossesse.

Etant végétarienne, pas tout à fait végétalienne, je pense que j’ai eu moins de problèmes qu’une « vraie » végétalienne. Je pourrais même dire que je n’ai étrangement eu aucun problème pendant ces 9 mois. On m’a laissée parfaitement tranquille, tout au plus ma gynécologue a-t-elle noté dans mon dossier « végétarienne », mais elle n’a fait que me prescrire la vitamine D au 6e mois et le fer comme à toutes les femmes.

Pourtant, à y repenser, il n’est pas sûr que tout ait été si positif. Quand vers le 4e mois, après une anémie visible qui s’est manifestée par une grande fatigue, ma gynéco m'a refusé une prise de sang de contrôle (j’aurais voulu voir si je ne manquais de rien d’autre), c'est tout de même une manière de dire débrouillez-vous, vous n'avez qu'à manger "équilibré" pour ne manquer de rien. C'est sûr qu'étant végétarien, surtout en faisant attention à notre alimentation, on a normalement moins de risques d'être carencé que les autres, et le fait que les médecins nous laissent tranquilles est plutôt bon signe, cela semble vouloir dire qu'ils le reconnaissent. Mais au fond, quand on sait que 99% d'entre eux pensent que le végétarisme est mauvais pour la santé, leur absence de souci face à une femme enceinte est plutôt de l'ordre du mépris. Surtout, j'avais bien dit, à ma gynéco comme à mon généraliste, que j'étais quasi végétalienne et comme pendant la grossesse il y a plus de risques de carences, on aurait normalement dû me prescrire au moins de la B12 que j'ai dû aller acheter toute seule (et doser moi-même...). Il en est allé de même après ma grossesse, quand la pharmacienne, à qui j’achetais de la B12, m’a dit de demander le dosage à mon médecin : celui-ci a répondu qu’il n’y connaissait rien mais ne m’a pas proposé de se renseigner. Il me laisse donc entièrement libre de mal me supplémenter. Choquant !   Donc selon moi, là est la discrimination, même presque invisible. En fait, souvent on ne la voit pas parce qu'on se dit "c'est déjà bien qu'on ne m'ait pas critiquée pour mon végétarisme", donc on accepte tout.

La maternité maintenant (HFME Bron)

Quelques mois avant d’accoucher, j’étais montée dans le service demander s’il était possible d’obtenir des menus végétariens/végétaliens. On m’avait répondu qu’un nutritionniste était présent et pourrait en élaborer.

A peine arrivée dans ma chambre après l’accouchement, j’ai dû expliquer que je ne mangeais pas de viande, ni de poisson (« pas de poisson non plus !? » s’exclame une infirmière). Comme j'avais aussi refusé les œufs, pressentant bien l’omelette quotidienne, je me suis retrouvée avec 10 fois (!!) la même tarte au fromage en 7 jours. D’ailleurs il est certain qu’il y avait des œufs dedans mais passons. Certains jours, j'ai demandé s'ils n'auraient pas une simple céréale pour accompagner les légumes et on m'a dit non. Sans le fromage, je n'aurais donc eu que des légumes, du pain et des fruits. Je donnais le yaourt et le fromage à mon mari qui m’apportait chaque jour yaourt de soja et biscuits. Pour mon petit déjeuner, j’avais prévu le coup en mettant dans ma valise des briques de chocolat à boire au soja, et des biscuits vegan.

Il est vrai que je n’ai pas été particulièrement insistante auprès des femmes qui livraient les repas car d’une part, quand on a sa merveille de bébé à côté de soi, on relativise un peu tout et on est moins d’humeur belliqueuse, et d’autre part, je me disais, comme beaucoup de végétariennes, que c’était « déjà bien » que j’aie à manger, que ça aurait pu être pire, que je n’allais pas les embêter plus. Bref, on se tait encore.

Pourtant, est-ce normal, dans un lieu de santé public, et après un accouchement qui épuise l’organisme, d’avoir des menus carencés pendant une semaine ? Il était censé y avoir un nutritionniste dont je n'ai pas vu la couleur.

Après la naissance de mon fils

N’ayant pas eu de lait, j’ai dû lui donner du lait de vache, qui m’a été imposé d’office à la maternité lorsqu’on a décelé une déshydratation chez mon bébé. De retour à la maison, par manque d’information et absence de lait végétal en magasin bio, j’ai donc dû me résigner à lui donner une préparation à base de lait de vache bio.

En ce moment, il va avoir 6 mois, je me renseigne auprès des médecins car j’ai envie de passer à un lait végétal 2e âge à base d’amandes (le seul végétal que j’ai trouvé). Mon médecin généraliste m’a dit non avant même de savoir que c’était un lait spécial bébé, et sans être capable de m’apporter aucun argument. C’est même moi qui ai évoqué le risque d’allergie, sur lequel il a instantanément rebondi. J’ai donc continué à me renseigner, à appeler et à tenter de rencontrer des allergologues, qui tous m’ont paru extrêmement catégoriques, se contentant de me parler des « risques d’allergie grave » alors même que j’aurais voulu en savoir plus : allergie qui de toute façon se serait déclarée plus tard, pourcentage de risque, symptôme, quel âge conseilleraient-ils d’attendre pour introduire l’amande sans risque… Je me suis aperçue d’une part qu’ils n’y connaissaient rien en lait infantile végétal, et que d’autre part, ils s’arrêtaient au préjugé lait pour bébé = lait de vache. Surtout, venait parasiter la discussion qui aurait dû être uniquement médicale, une sorte de jugement envers la mauvaise mère qui tentait d’empoisonner son bébé au lieu de faire comme tout le monde (une mauvaise mère prendrait-elle la peine de venir se renseigner…). Une secrétaire en allergologie de l’hôpital St Luc St Joseph de Lyon m’a résumé la situation ainsi : si vous lui donnez du lait d’amandes, « il va gonfler » et il va mourir ! Une de ses collègues (je crois qu’elle était infirmière), m’entendant expliquer ma question, m’a demandé pourquoi je voulais donner du lait d’amande, et comme je lui répondais que cela me regardait moi, s’est permise de faire « pfff » et de secouer la tête pendant plusieurs minutes d’un air de mépris. Lorsque je lui ai dit, en colère, qu’elle n’avait pas à juger, que j’étais là pour une demande d’information, elle a continué à m’opposer un silence méprisant et un regard fuyant. Le médecin allergologue, lui, a refusé de s’avancer, en me disant « vous n’avez qu’à lui donner du lait de vache ». Et on est en France, à l’hôpital public en 2010 ! Je ne vous dis pas dans quel état de stress et de solitude je suis rentrée chez moi.

J’ai fini par enfin tomber (au téléphone) sur un médecin à l’écoute à HFME, qui a reconnu qu’il ne connaissait pas ce lait aux amandes, qu’il y avait certes des risques d’allergies mais comme pour tout, qu’en Afrique les bébés mangeaient des fruits à coque à 3 mois donc qu’il n’y avait pas lieu de s’affoler. (J’apprends qu’en Italie, le lait d’amandes est un aliment conseillé à partir de 6 mois). Je ne me suis pas sentie jugée quand j’ai dit que je voulais l’élever végétarien, il m’a juste conseillé (mais sans agressivité aucune) de ne pas lui faire suivre un régime strictement végétalien par risque de manquer de bons acides gras (ah, les préjugés…), ce à quoi j’ai répondu que je lui donnerais justement des huiles et des amandes dans peu de temps. Ce médecin a donc bien compris et respecté mon choix d’un lait végétal, sans évoquer à aucun moment le lait de vache. Pour finir, il m’a conseillé un lait à base de riz qui se trouve en pharmacie… Si j’avais su, j’aurais pris le même en 1er âge mais encore aurait-il fallu avoir l’information !! Si ce n’est pas un manque d’information volontaire de la part des « professionnels » de la santé…

Lors de la visite du 6e mois de mon fils chez le médecin généraliste qui le suit, j’ai évoqué le fait qu’il sera végétarien. Le médecin, étonné, comme pris au dépourvu : « vous ne lui donnerez pas du tout de viande ? » « Non. » « Et du poisson ? » « Non plus, et il ne s’en portera pas plus mal », ai-je répondu en essayant de sourire. Et là, il m’a dit textuellement : « vous n’aurez pas mon accord ». On ne parlait même pas de végétalisme, mais de végétarisme ! En gros, je fais ce que je veux, mais il ne me donnera aucun conseil.

Qu’ai-je fait ? J’ai changé de médecin, pour me tourner vers un pédiatre étranger n’ayant aucun a priori négatif sur le végétarisme. C’est toujours à nous de fuir ou de nous taire.

Je constate que tant qu’il s’agit de nous, adultes végétariens/végétaliens, les médecins et autres personnes nous laissent encore relativement tranquilles, se retenant de nous juger trop ouvertement (mais n’en pensant pas moins) ; mais dès lors qu’il s’agit d’un enfant, ces bienfaiteurs se croient obligés d’intervenir et les critiques fusent, et avec elles, toujours sous-jacente, l’accusation de maltraitance de la part d’une mauvaise mère. Et cela ne fait que commencer. J’hésite sur la stratégie à adopter pour éviter de réagir par la colère : l’ironie me paraît la meilleure, car elle permet de prendre de la distance et de tourner en ridicule, avec humour, les critiques qui nous sont adressées.

Commentaires

1. Le mercredi 9 février 2011, 11:27 par Ingrid

Je suis extrêmement désolée de lire ça. :(
Alors quand on est musulman, c'est normal. Mais quand on choisit par soi-même de manger sain et sans souffrance, c'est la révolution !
J'espère que les mentalités vont vite évoluer !
Continuons à militer !

2. Le vendredi 18 février 2011, 22:40 par mélie

Je suis moi même végétarienne depuis plus de 2 ans maintenant et j'avoue que ton témoignage me fait un peu peur!!!
Je n'est pas encore d'enfants mais c'est en projet et justement je me demandais comment sa allais se passer à la mater pour les repas... je vois que c'est pas génial, surtout qu'après un accouchement on a besoin j'imagine de manger pleins de bonnes choses pour se remettre!!! sa me scandalise les réactions de ses médecins.
Mais il est vrai que j'ai eu le malheur d'en parler un jour à un généraliste et qu'il ma fait la morale! A mon avis soit on a de la chance de tomber sur un généraliste qui s'y connait un peu soit on va le voir le moins possible.
Maintenant je vais voir un naturopathe et sa me conviens beaucoup plus, il me donne des vrais conseils.
Pour l'accouchement je pensait ne rester que très peu de temps à la mater...
La discrimination est toujours présente. Je pense que les mentalités changent mais il y a encore beaucoup de chemin à faire.
Merci de ton témoignage très instructif.

3. Le samedi 26 mars 2011, 20:36 par K

Bonjour

Pour l'accouchement pourquoi ne pas envisager un accouchement à domicile avec sage-femme?

4. Le mercredi 30 mars 2011, 13:27 par Agnese

@K Sur le plan individuel, on peut toujours trouver des escamotages pour éviter les inconvénients dus à des situations de tout type. Mais sur le plan global, ces discriminations, il faut qu'elles cessent ! Pourquoi une femme végétarienne qui a envie d'accoucher à l'hôpital ne pourrait-elle pas le faire ? L'accouchement à domicile c'est une option que l'on doit pouvoir choisir pour d'autres raisons, pas juste pour avoir la possibilité de manger correctement. Ça serait une discrimination que l'on s'imposerait soi-même !

5. Le lundi 9 mai 2011, 22:13 par Reg

Végétarienne depuis un peu plus d'un an et âgée de plus de 50 ans, je vous trouve très courageuse de tenir le coup face à tous ces sous-entendus de "maltraitance", ces blocages divers et variés des "autorités médicales".
Les discriminations existent malheureusement et les mentalités sont tès longues à changer. Quand on dit que l'on est végétarien pour ne plus faire souffrir aucun animal, la plupart des gens vous prennent pour des dingues et certains vous demandent si vous faîtes partie d'une secte.

6. Le jeudi 9 juin 2011, 08:44 par C

J'ai vécu et vit encore les mêmes discriminations. Je ne pourrai sans doute pas mettre mon enfant à la cantine, vu que la mairie m'a dit qu'ils sont opposés au vegetatisme, que les enfants doivent manger de tout sauf pour raison religieuse oú ils acceptent les exceptions simplement parce que les communautés religieuses ont un poids politique et peuvent s'unir pour réclamer la prise en compte de leurs demandes. Mais comme moi en tant que Végétarienne je suis pour eux une extraterrestre sans aucun pouvoir de faire pression, ils n'ont même pas accepté de me recevoir à la mairie pour essayer de trouver une solution.

7. Le dimanche 3 juillet 2011, 20:08 par johan

Je suis végétarienne (non végétalienne, car je mange des oeufs) depuis 1963. A l'époque, mes parents payaient mes repas à la cantine du lycée, mais j'étais tellement dégoûtée par ce qu'il servaient que je e cachais dans une salle de cours pour manger des fruits...
Je constate que depuis près de 50 ans, rien a changé.
Dans les pays anglo-saxons, on respecte les végétariens, mais ici on doit supporter un ostracisme scandaleux.
Quel pays rétrograde de gros porcs (pardon pour les porcs que je respecte)

8. Le vendredi 23 décembre 2011, 23:44 par Alexia

Avec ce témoignage je constate vraiment que j'ai beaucoup de chance.
En effet vegetarienne depuis 1an et demi quand j'en ai parlé à ma mère elle était d'accord à une seule condition que le médecin le soit aussi. Elle pensait que le médecin du village également maire aller me disuader (cela ne m'aurait pas empéché de devenir végé mais si on peu éviter le conflit de suite) c'est donc avec tout mes arguments que nous sommes allez voir le médecin. Et la miracle quand j'ai annoncé cela le medecin c'est levé et m'a demandé s'il était possible de me faire la bise puis m'a expliqué lui même les raisons pour lesquelles il fallait que je le fasse. Imaginez la tête de ma mère elle eu beau lui sortir toutes les excuses comme par exemple ma fille fait 1m80 elle a des besoins particuliers au final il ma donné plein de conseils et surtout il ma félicité (lui même n'étant pas végétarien je vle précise).
Dans mon parcours de végé j'ai du passer l'étape de la cantine du lycée ( la cafeteria n'admettant pas une pizza ou un sandwidch sans viande ou poisson )et la je vous avoue que je me suis déja retrouvée avec un morceau de pain un yaourt et deux asperges sur mon plateau ( et la vous m'expliquerai comment me faire prendre au sérieux par mes amis et mes profs qui me prennent plus pour une anorexique ) mais depuis quelques temps une nouvelle dame nous sert et figurez vous que quand j'arrive mon plat sans viande ni poisson est déja sur le coin du comptoir et elle va même jusqu'a voler des fruits des yaourts et des fromages en plus qu'elle m'apporte discrètement une fois que je suis assise dans la cantine.
Alors certe à côté de cela il y a la famille avec laquelle je vie ( famille d'agriculteurs qui à l'habitude d'élever ses animaux pour les manger ensuite) qui me mène la vie dure, quand mon oncle est arrivé dans la famille il a cédé a leur pression et n'est plus végétarien mais malgré presque 30 ans à remanger de la viande à chaque repas il a droit aux moqueries de tous a propos de son ancien combat...

Donc ces personnes dont je vous ai parlé montre qu'il faut continuer à ce battre parfois on peut tomber sur des gens sympatiques qui même s'ils ne partagent pas votre combat les acceptent!!!!
Bon courage à tous en ces periodes de fêtes et malheureusement de foie gras! Pour ma part mon combat depuis un mois a été de tenter d'instaurer pour ce repas les huitres au lieu du foie gras traditionnel. Tenez bon on va y arriver!

9. Le dimanche 3 mai 2015, 06:45 par Cécile

Aucun rapport avec les musulmans Ingrid,qui mangent du poisson et des oeufs.La discrimination continue,c est lassant....Une végétale ne ouverte aux autres.

10. Le dimanche 8 mai 2016, 21:12 par mamanbretonne

je suis comme vous végétarienne et j'ai convertis mon mari mes enfants a ne plus manger de la viande

11. Le lundi 18 juillet 2016, 00:09 par lebioducoin

c'est vrais Quiconque a entendu les cris d’un animal qu’on tue ne peut plus jamais manger de sa chair.

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