Littéralement, peur des végétariens. Concrètement, animaux à l'abattoir.

Par Antonella Corabi

(Traduction de l'italien : Loredana Ballone ; relecture : David Olivier)

Nous voudrions dénoncer la végéphobie.

Littéralement, la peur des végétariens.

Plus précisément, ce n'est pas que l'on se sente persécutés en tant que végétariens. Personne ne crie au complot, ni ne pleurniche en implorant qu'on nous laisse vivre en paix. Pour mieux nous comprendre il faudrait peut-être commencer par préciser deux points fondamentaux : tout d'abord, lucidement, nous savons bien que personne n'en a à faire des végétariens. Ensuite, nous devons nous résigner à écarter toute idée de complot. Ce dont nous voulons parler, c'est précisément de l'aversion envers ceux qui ne mangent pas de viande. De cet ensemble bariolé de situations qui, dans la vie quotidienne et dans les médias, exposent à toute une gamme de critiques les végétariens et leur choix de ne pas manger de viande.

À la télévision, de doctes nutritionnistes répètent avec une détermination de forcenés que les vegan risquent des carences en fer avec, ô dramatique conséquence, la perspective de perdre leurs dents et leurs cheveux. Ce thème permet non seulement de faire venir la chair de poule à la pensée de stigmates esthétiques aussi terrifiants, mais aussi d'évoquer de tragiques scénarios pour la santé. Ces derniers temps, si on en croit ces néfastes déclarations scientifiques, il semblerait que la santé sexuelle des végétariens soit, elle aussi, inéluctablement compromise. Manger de la viande, un bon bifteck par exemple, saignant si possible, semble une affaire de durs, pas de pauvres avortons émaciés, édentés et chauves criant au plus fort de leurs petits poumons « vive les animaux ». Ce n'est sans doute pas un hasard si dans une culture patriarcale comme la nôtre refuser de tuer des êtres sensibles pour en manger les chairs représente, à un niveau symbolique, un attentat à la virilité - à la sienne propre ou à celle d'autrui. Bien qu'il s'agisse là d'une pure et simple superstition, cette association entre la consommation du fruit de la violence et la force sexuelle semble plus forte que les données scientifiques elles-mêmes, lesquelles indiquent que les végétariens sont en bonne santé et mènent une vie normale comme tout le monde. Le lien fait entre consommation de viande et virilité est un lieu commun vieux comme le monde, né sur le plan symbolique, culturel et politique et qui aujourd'hui feint de se prévaloir de bases scientifiques. Consommer de la viande serait un acte fort et courageux, qui laisse les petites salades aux femmes faibles et délicates. Stéréotypes sexuels qui mettent en évidence les rapports de violence, non seulement de l'homme sur l'animal, mais également de l'homme sur la femme.

Dans ce tableau réjouissant les journalistes ne pouvaient manquer à l'appel, eux qui, dans leurs captivants articles, nous décrivent comme des illuminés passant des heures à cuisiner leurs légumes (mais où ont-ils vu ça ?) et à sautiller joyeusement parmi les fleurs, tels des hippies fantasques adeptes de philosophies New Age. On nous dépeint comme des idéalistes hypersensibles et bon enfant, jamais comme de fermes défenseurs de la liberté des animaux, une telle thématique étant trop ridicule pour être prise au sérieux, trop « idéologique ».

C'est en revanche sur le mode sarcastique qu'est composée la panoplie d'anecdotes qui circulent sur le mode de vie des végétariens. Y abondent les répliques à la blague de Toto, comme cette phrase culte répétée chaque fois avec un incompréhensible air d'originalité : « Pourquoi ne manges-tu donc pas une belle côtelette ? ». Le tableau est certainement curieux, mais nous avons la certitude que la cible de ces évidentes résistances culturelles masquées sous les habits de la diététique, ce ne sont pas vraiment les végétariens.

Le ridicule, la désapprobation, la négation, ce n'est pas à nous, végéta*iens, qu'ils s'adressent. Les véritables cibles des railleries et autres fines plaisanteries, de la désapprobation et de la négation, ce sont les animaux. Si on rit, c'est parce qu'il y a là quelque chose de grotesque et de ridicule qui provoque l'hilarité. Ce sentiment de ridicule naît du contraste entre d'une part les discours sur la dignité des animaux et d'autre part la vision que notre imaginaire offre de ces mêmes êtres, vision où ils sont réduits à l'état de marionnettes grotesques aux cuisses succulentes, d'imbéciles sans raison, de tas de viande avec lesquels on ne dialogue pas, parce que ce ne sont que des objets et rien d'autre. Corps dépecés et détaillés en morceaux, violemment manipulés, réduits à un tas de côtelettes, de filets, de jambons, de biftecks, d'objets d'usage commun, disséminés dans la quotidienneté. La simple idée de leur associer un discours concernant de hautes valeurs morales suscite autant de sourires que si nous parlions de la sensibilité des taille-crayons ou de l'intellect des tire-bouchons.

Rire des animaux revient à refuser de les prendre au sérieux, à exclure toute prise en compte de leur dignité. Très simplement, il s'agit du refus de prendre au sérieux l'idée qu'il existe une question animale à laquelle on doive réfléchir. Refuser d'envisager l'existence d'une manière vegan de se nourrir est une façon de nier le fait que tuer les animaux est un choix, et non une nécessité. Cela est une façon de nier a priori la possibilité de parler d'eux en termes moraux et politiques.

Nous tenons à souligner que nous sommes végétariens parce que nous entendons reconnaître aux animaux leur besoin de vie, de liberté et de paix. Il ne s'agit pas ici de la liberté que vantent certains éleveurs bio, qui promeuvent leurs produits qui, disent-ils, ne causent pas de souffrances car ils proviennent d'animaux « élevés en liberté » - animaux en réalité contraints à l'exploitation de leur corps et tués à la fin de leur « carrière » productive. Nous, nous parlons du respect absolu de la vie animale au même titre que l'on parle du respect absolu de la vie humaine.

La végéphobie, c'est la tentative de tourner en ridicule les végétariens pour tourner en ridicule les animaux. La végéphobie, c'est la négation de la possibilité du régime végétarien dans le but de nier la possibilité de parler des animaux comme de personnes sensibles qui ont des besoins - de vie, de liberté et de paix qu'il est temps de reconnaître et de respecter. La végéphobie consiste à frapper les végétariens pour frapper les animaux, à railler ou ignorer les végétariens pour railler ou ignorer les animaux.

N'en déplaise à nos carences en fer, nous élevons la voix, et à ce NON brutal lancé contre leur liberté, contre leur vie, contre leur dignité, nous opposons un autre NON, encore plus cinglant et déterminé. Les choses maintenant sont claires. La dérision contre les végétariens et la négation du végétarisme ne sont qu'une excuse. La réalité est celle d'une brutale et violente dérision à l'encontre des opprimés, d'une négation agressive des problèmes que leur question soulève, d'une rigide opposition contre les animaux.

Commentaires

1. Le lundi 3 mai 2010, 15:27 par Rudy

Effectivement c'est dur d'être végétarien/talien... Nous sommes des personnes sensibles et nous voyons ce que peu de personnes ont envie de voir... Je suis d'accord avec vous... Nier notre existence et nos désirs, c'est nier celle des animaux... Ma femme est une belle personne au propre comme au figuré... J'ai adopté un tas de stratégies pour lui faire comprendre la misère des animaux... Je constate bien qu'à la première occasion, elle achète de la viande... Je respecte son choix... Ils sont comme drogués... Viande, lait, ... Tout le temps et partout... J'ai fait un marathon, je ne suis jamais malade et je mange vegan la plupart du temps... Pourquoi tant de tolérance et d'amour pour les être humains (je sais c'est loin d'être partout le cas) et si peu de considération pour tous les être vivants ? Ils souffrent, ils pleurent... Ils ne sont pas si différents de vous... Vous n'avez pas envie d'être mangé... Eux non plus... Comment peut-on se dire de son temps et manger de la chaire d'animaux... Cela me dépasse...

2. Le lundi 15 novembre 2010, 13:32 par Magalia

Bravo!
je trouve cet article très bien écrit et argumenté! J'en avais les larmes aux yeux...Et pourtant, j'en ai lu des livres et des articles sur la question mais là, je trouve que c'est vraiment top!
Samedi prochain, je vais faire mon premier stand pour les droits des animaux et j'ai les miquettes ( lol!).Je peux t'emprunter tes idées sans te payer de droits d'auteur XD!?

3. Le mercredi 1 décembre 2010, 16:35 par Veggie Pride Staff

@ Magalia : tu peux puiser dans les textes du blog autant que tu veux ! Bon courage pour ton stand. :-)

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